Quand j'étais petite fille, il y a un quelque chose qui me passionnait encore plus que le mystère de la griffe mystérieuse, c'était le mystère du buffet.
J'explique.
A côté du canapé familial (chez nous, on disait un divan, ce sont les origines québéco- freudiennes des aïeux Bellzouzou qui ressortent), il y avait un buffet ( mais qu'on appelait un buffet comme un chat un chat, bref) sous le rebord duquel le bois était abîmé. Il était abîmé seulement de ce côté-là (celui du divan, donc), et il était salement abîmé.
[apparté: comme les aïeux Bellzouzou vont nier en arguant que ce n'est matériellement pas possible étant donné la configuration de leur salon, je précise qu'à l'époque (pas si lointaine, donc) où j'étais petite fille, le divan et le buffet n'occupaient pas la même place qu'actuellement, et je me souviens parfaitement bien de leur place, et toc.]
Comme j'étais une petite fille très curieuse, je demandais régulièrement pourquoi le bois était abîmé et mon père me répondait vaguement sur le ton que ça n'avait pas grande importance et que ce n'était même pas la peine d'en parler, que c'était une maladie du bois.
Mais comme j'étais observatrice, j'avais constaté que mon père, encore lui, s'asseyait toujours de ce côté-là du divan pour regarder la télé. Et qu'il avait souvent la main posée sous le dessous du buffet. Grattait-il le bois pour le soulager de sa maladie? Ou ce geste cachait-il une réalité beaucoup plus honteuse?
Car en réalité, comme je n'étais pas bête Huguette, je soupçonnais fortement que si le bois était aussi salement abîmé, c'était parce que (attention aux âmes sensibles, ce que je vais révéler là concerne un véritable secret de famille)
c'était parce que, donc, mon père y collait ses crottes de nez.
Malheureusement, je n'ai jamais pu le prouver et il a toujours vigoureusement nié les faits avec un air d'entre deux airs de pas y toucher.
Et puis my heart belonguait to my Daddy et je n'imaginait pas que mon père put me mentir au sujet d'une chose de cette importance; par ailleurs, en grandissant, j'ai un peu élargi mes centres d'intérêt (et je m'en félicite), et mes enquêtes se sont portées sur d'autres mystères.
Il n'existe pas de photo d'époque du dessous du buffet, à mon grand désespoir; le buffet a d'ailleurs été poncé et revernis il y a quelques années, détruisant les preuves et anéantissant à jamais mes espoirs de percer l'énigme,
bref, affaire classée.
Sauf que, hihi, il y a quelques jours, Bellzouzou l'aïeule m'offre gentiment et innocemment une jolie petite table de chevet provenant de leur chambre conjugale.
Celle du côté de lit de mon père.
Voulant la poncer avant de la repeindre, je la retourne, et là: c'te choc!
Si c'est pas de la crotte de nez de compèt', ça, hein. (Et le temps que ça m'a pris pour décaper tout ça, haaan).