Depuis quelque temps, nous, en classe, on fait (gonflez les joues et les tétés) de la phi-lo-so-phie. Parfaitement. Avec la maman d'A, qui a de très grands élèves dans une très grand école avec qui elle fait de la philosophie tout pareil qu'avec nous, mais nous, c'est encore plusse chouette qu'eux parce qu'on va dans la salle de la garderie là-haut où avant on faisait la sieste mais maintenant on la fait plus parce qu'on est des moyens et bientôt des grands, même, et qu'on met des chaises tout en rond pour bien se regarder et philosopher.
Bon, pour tout vous dire, au début, on a eu un peu de mal. Quand la maman d'A. nous a demandé le premier jour ce qu'on aimait dans la vie, et que N. a pris le bâton de parole le premier pour dire, dans un silence religieux, que ce qu'il aimait c'était les frites, ben on a tous dit les uns après les autres que ce qu'on aimait c'était les frites, les frites et encore les frites et peut-être aussi un peu les nuggets, et la fois suivante, quand la maman d'A. nous a demandé pourquoi c'était bien d'avoir des copains, on lui répondait encore que ce qu'on aimait, c'était les frites, que les frites c'était quand même drôlement bon et que maman elle voulait jamais en faire, mais qu'à Makchose il y en avait plein, des frites. Même que la maîtresse elle était vraiment impressionnée que la maman d'A. elle perde pas pas patience avec nos histoires de frites à n'en plus finir, qu'elle ait l'air de trouver ça intéressant presque et qu'elle arrive à poser d'autres questions pour relancer l'affaire, même quand ça avait l'air d'être mort, le débat sur ce qu'on aimait dans la vie, tu vois.
Mais ça, les frites, c'était avant de toute façon, quand on n'était pas encore des vrais (gonflez les joues et les tétés) philosophes.
Parce que maintenant, on a compris comment ça marche, la philosophie. Il faut juste pas toujours parler des frites, c'est tout.
La dernière fois, la maman d'A, elle nous a demandé ce qui était juste ou pas juste, et pendant que la maîtresse elle regardait ses pieds en regrettant de pas avoir mieux écouté quand elle était en terminale, nous on reufleuchissait.
Quand elle nous a demandé si ça nous semblait juste qu'elle apporte à l'école un gros gâteau au chocolat et qu'elle donne de très grosses parts à certains et de toutes petites à d'autres, on lui a pas dit qu'on préfèrerait des frites, on lui a dit que oui, c'était juste si elle donnait les grosses parts à ceux qui travaillent bien et les petites à ceux qui travaillent mal, et là, la maîtresse elle a failli se trouver mal, parce qu'elle a bien vu qu'on était tous de droite dans la classe. Alors on a essayé de se rattraper sur la fin:
" Maman d'A: (...) par exemple, si j'ai dans ma poche un bonbon et que je rencontre un copain dans la rue, qu'est-ce que je peux faire?
- tu manges le bonbon et tu lui en donnes un autre.
Maman d'A: et si je n'ai qu'un seul bonbon?
- tu le coupes en deux
Maman d'A: mais si c'est un bonbon très dur, et que je ne peux pas le casser en deux?
- tu vas chez toi chercher des ciseaux
Maman d'A: mais si je suis très loin de chez moi, disons que je suis dans ...le désert, par exemple...
- tu vas chez le boucher et tu lui demandes un grand couteau pour couper le bonbon...
- ou une scie.
- ou une tronçonneuse."
Voyez comme on raisonne, nous, hein.
Et en plus on est drôlement contents après qu'on a fait la philosophie, parce que la maîtresse et la maman d'A., elles nous disent toujours que si on est pas de grands (gonflez les joues et les tétés) philosophes, alors qu'est-ce qu'on est.