
Je ne vous apprends rien, quand on est maîtresse de maternoche, on reçoit souvent des compliments de la part de ses petits élèves. Tous les jours. Plusieurs fois par jour, même.
(Et notez bien que la maîtresse n'a aucun mérite; elle peut être jolie comme un coeur ou moche comme une teigne pouilleuse, ses élèves la trouveront toujours belle, point final.)
Bon, ça fait toujours plaisir de s'entendre dire qu'on est beeeelle, ça c'est sûr, mais au bout d'un certain temps, on est quand même un peu blasée, pour tout vous dire.
Faut dire que les enfants d'aujourd'hui, c'est plus ce que c'était.
Dans le temps on savait se tenir, on admirait sa maîtresse en secret, on souffrait en silence devant tant de beauté.
Ma propre grand-mère, par exemple, institutrice de la République dans la campagne très profonde de 1940 à 1975 environ n'a jamais au grand jamais connu ce problème.
(Sauf une mémorable fois, où alors qu'elle passait près de sa table, un élève lui avait goulûment attrapé les fesses à pleines mains en lui disant "Hmmm, elle a de grosses fesses, Madame!!!"
Mais de l'avis de ma grand-mère, cet élève-là était fou comme un lapin; et croyez-moi ce fut bien là la seule et unique déclaration d'amour qu'elle reçut dans sa classe et son souvenir alimenta les déjeuners dominicaux familiaux des années durant.
Il faut probablement chercher là l'origine de ma vocation (?) l'inconscient prend parfois de drôles de chemins, c'est pas ma conjonctivite qui dira le contraire, mais revenons à nos oignons, voulez-vous).
Les enfants de maintenant, disais-je, ne sont plus ceux de ma grand-mère, ils se lâchent, ils s'expriment, ils font leurs déclarations d'amour sans complexe et le plus souvent, c'est tant mieux.
Quand c'est fait discrètement et modérément, quoi.
Parce que "Maîtresse, tu sais? ben t'es beeellle!" trois fois dans la demi-heure, ça va bien, hein. La première fois, on remercie chaleureusement, la deuxième on soupire discrètement, et la troisième on répond un peu vertement à Prunille que oui bon merci tu me l'as déjà dit tout à l'heure, maintenant tu colles les gomettes sur ta coccinelle je te prie.
Chuis pas dure, nan, mais j'ai un programme à boucler d'ici la fin de l'année, je vous signale.
C'est ainsi que l'autre jour, alors que je racontais une histoire, assise sur une chaise de nain (les jambes relevées en équerre, donc) et les fameux nains tout autour, façon Woodstock, que j'ai vu Prunille et si ce n'est pas elle, c'est donc sa soeur ou sa cousine, se lever et venir à moi, j'ai voulu étouffer l'affaire dans l'oeuf immédiatement pensez donc, merci c'est très gentil mais va t'asseoir et concentre-toi sur l'histoire plutôt que sur ma légendaire beauté, mais la petite avait l'air de détenir une vérité particulièrement importante à partager là maintenant tout de suite, j'ai donc marqué une pause pour l'écouter:
"Maîtreeesse, t'es beeeelle: tu as les genoux pointus!!"
C'est là que je me suis chaleureusement félicitée d'avoir choisi d'enseigner à des petits de quatre ans plutôt qu'à des ados boutonneux aux prises avec leurs hormones qui m'auraient dit plutôt "eh M'dame, savez quoi? z'avez les seins tout pointus!!
(ou pire:
z'avez les seins qui tombent, hein).