Elle s'appelle L.
Elle a quatre ans.
Il faut la surveiller tout particulièrement pendant les récréations: elle mord, elle tape, elle est violente avec les autres.
Elle n'est pas toujours propre; l'ATSEM est parfois obligée de lui couper les ongles;
Sa maman ne vient jamais à l'école, c'est sa voisine qui l'accompagne, parfois son frère, grand adolescent.
Elle n'a pas de papa, elle aime à le dire.
Elle s'appelle L.
Elle a cinq ans.
Elle n'est pas toujours propre, l'ATSEM est parfois obligée de lui couper les ongles;
Ses vêtements ont déjà servi avant elle; elle a des chaussures trop grandes de deux ou trois pointures, celles que la voisine a donné pour elle à sa mère, ce qui la gêne pour courir, car L. aime courir devant et qu'on la suive, elle est forte, elle se bat, elle est dure.
Elle travaille bien, elle comprend tout.
Elle est souriante, vive, affectueuse Tu es belle maîtresse.
L. parle de ses souris qui sont mortes mangées par le chien.
L. parle d'une photo de sa maman nue avec un truc dedans son zizi qu'elle a vue sur le téléphone portable, mais maman a dit que c'était juste pour rigoler avec un copain.
L. est allée chez une dame qui était très gentille et très belle au commissariat pour lui raconter ce qu'elle avait vu.
Un jour la maîtresse voit la maman et lui dit qu'L. serait sûrement heureuse qu'elle l'accompagne de temps en temps à l'école, qu'elle vienne la chercher à l'heure des mamans quand elle le peut. Personne ne l'avait jamais dit à la maman, elle n'y avait pas pensé, elle travaille beaucoup, elle est fatiguée, elle va faire cet effort, elle comprend.
Plusieurs fois, la maman vient chercher L. à l'école, parler un peu d'L. avec la maîtresse. Ça lui fait du bien de parler, elle le dit.
Elle dit qu'elle a demandé l'aide d'un éducateur, c'est trop dur avec L. à la maison, elle n'y arrive plus.
Un jour qu'il pleut, elle vient avec le petit parapluie d'L. la chercher à l'école et L. a les yeux qui pétillent.
Les services sociaux préviennent l'école que le frère ne doit plus venir chercher sa soeur.
Non, il n'y a pas d'arrêté de justice, et puis secret professionnel on ne vous en dira pas plus n'insistez pas, mais sachez qu'il y a des choses qui ne sont pas claires là-dedans.
C'est la voisine ou la maman qui doivent venir chercher L. pour la ramener à la maison après l'école.
Si la maman se présente alcoolisée à l'école, il faut téléphoner à la voisine ou à l'éducateur.
On trouve ça absurde, s'il y a quelque chose qu'on nous le dise, mais non mais non on n'en est pas là, et puis il n'y a pas d'arrêté de justice on vous dit, c'est un arrangement entre les services sociaux et la famille, le frère ne doit plus accompagner sa soeur, c'est tout.
Elle s'appelle L.
Elle aura bientôt six ans.
Elle n'est pas toujours propre, l'ATSEM est parfois obligée de lui couper les ongles;
Elle est forte, elle se bat, elle est dure, elle est joyeuse et vive, elle travaille bien elle comprend tout. Son éducateur vient la chercher à midi le mercredi parfois, elle aime quand il l'emmène à la piscine.
Un jour elle dit à un enfant qu'elle va lui faire quelque chose de très spécial.
Elle dit ce qu'elle va faire et d'autres enfants disent aux maîtresses ce qu'elle a dit qu'elle allait faire.
A sa maîtresse, L. dit qu'elle l'a vu à la télé avec sa maman et qu'elle le faisait à son frère avant quand elle était petite.
La maîtresse fait un signalement au Procureur de la République.
Le lendemain, L. est absente; l'éducateur téléphone qu'elle a été placée la veille au soir dans une famille d'accueil. Elle sera scolarisée ailleurs. Un autre éducateur, d'un autre service, celui qui a pris le relai, viendra chercher ses affaires, ses dessins, ses cahiers, ses chaussons de gymanastique.
Le directeur de l'école insiste pour qu'L. accompagne l'éducateur ce jour-là récupérer ses affaires, dire au revoir aux enfants.
Suite à son signalement, la maîtresse va faire une déposition au commissariat.
Sur le bureau devant le policier, il y a un gros dossier avec le nom et le prénom du frère et le mot VIOLS tracé de travers.
Elle s'appelle L.
Elle aura bientôt six ans.
Un mois plus tard, le jour du goûter d'au revoir à L., tous les enfants ne sont pas là; c'est l'hiver beaucoup sont malades: l'ATSEM a préparé la table bleue du fond de la classe, on n'est pas nombreux elle sera assez grande; elle a mis des serviettes en papier, des gâteaux des bonbons, ce n'est pas un goûter du matin comme d'habitude.
L. arrive à l'heure de la récréation.
Aussitôt elle court, suivie d'autres enfants, comme avant.
L'éducateur dit qu'elle s'habitue doucement, que sa maman lui manque qu'elle n'a vue que quelques jours pour Noël depuis la séparation; il dit que les choses sortent doucement de sa bouche, petit à petit; il dit que la maman s'est engagée à se soigner.
L. embrasse les maîtresses Tu es belle maîtresse.
Autour de la table, elle raconte les autres enfants de sa famille d'accueil, sa nouvelle école, elle est joyeuse.
Le directeur et les autres maîtres viennent l'embrasser.
Elle parle de sa nouvelle maîtresse, elle s'appelle H., elle est gentille.
Elle travaille bien, comme avant.
Elle comprend tout.
Elle demande à la maîtresse si elle peut encore l'appeler sa maîtresse même si maintenant elle en a une autre, et l'ATSEM et la maîtresse sortent pleurer dans le couloir.
Bellzouzou, Pensées profondes, livre XIII verset 126:
"Un blog, ce n'est pas ce qui vous arrive. C'est ce que vous choisissez de dire de ce qui vous arrive, et comment vous le dites."
Bellzouzou, Pensées profondes, livre XXIV verset 777:
"Tout est vrai, seul le reste est (peut-être) faux."
jeudi 13 mars 2008
La chaîne de la Névros' #3.
Sur une proposition de Névrosia: "Nous raconter un morceau pas drôle du tout de ta réalité (lien avec tes beaux-parents non obligatoire), que ça te ferait du bien de nous raconter."
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Triste départ dans la vie. Mais elle a l'air d'être bien entourée cette petite L. Moi aussi j'en ai pleuré.
RépondreSupprimerPauvre petite puce.
RépondreSupprimerUn avenir pas facile
une boule dans le ventre en lisant ça... heureusement, il y a une lueur d'espoir...
RépondreSupprimerpfiou...j'ai l'oeil humide et un sentiment de gâchis...
RépondreSupprimerwhaou! là, c'est moi qui pleure...
RépondreSupprimerVous vous êtes donné le mot pour nous faire pleurer ce matin ?
RépondreSupprimerContente que la petite s'en sorte, enfin pour l'instant...
bah, c'est malin, je pleure...
RépondreSupprimerj'arrive pas à m'arrêter de pleurer
RépondreSupprimerpourtant j'en ai vécu des situations comme celles là, à l'école, ou dans ma famille (ma tante est famille d'accueil)
ça me fout en l'air à chaque fois...
.... quelle tristesse....
RépondreSupprimerPleure aussi.
RépondreSupprimerTrop dur. Moi aussi j'ai les larmes aux yeux. Pas facile comme départ dans la vie.
RépondreSupprimerHugolien.
RépondreSupprimerça met l'ambiance pour la journée.
RépondreSupprimerHeureusement qu'il y a des personnes pour voir les signes.
Comme les autres, les larmes aux yeux...
RépondreSupprimerDur métier, parfois...
ça me met en colère.
RépondreSupprimerJe pleure.
RépondreSupprimerPourvu que L. réussisse à prendre un nouveau départ...
En douze ans de carrière, j'en ai croisé des petites L. Trois pour qui ça s'est terminé par un placement, d'autres où le doute est là. On signale, on perd leur trace, où en sont-elles aujourd'hui ? Des nuits sans sommeil, et des visages qui ne s'effaceront jamais. Un immense sentiment d'injustice et d'impuissance.
RépondreSupprimerElle s'en sortira, elle travaille bien elle est vive elle comprend tout et surtout il y a des gens qui l'aimeront.
RépondreSupprimerMerci pour ce très touchant billet.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimeret une de plus obligée de sortir son kleenex...
RépondreSupprimercomme la vie peut paraître injuste parfois !
:-(
je pleure à chaudes larmes (que je cache, suis au travail) et j'espère moi aussi que cette petite fille va s'en sortir. J'ai moi aussi une fillette et j'ai tellmt peur des fois qu'elle rencontre un monstre pareil. Merci en tout cas aux personnes comme vous qui ecoutent, comprennent et entourent les enfants en detresse...
RépondreSupprimercaro(rocarossi)
Je suis sans voix!!
RépondreSupprimerLà j'ai une grosse boule dans la gorge et elle ne veut pas partir.
RépondreSupprimerMais c'est la réalité et c'est courageux de la raconter.
C'est là qu'on se dit que nos loulous ne partent pas tous avec les mêmes chances dans la vie...
D'habitude je viens là pour rire. Aujourd'hui, moi aussi je vais dans le couloir.
RépondreSupprimersans voix c'est tellement horrible
RépondreSupprimerJe crois que toutes les maîtresses ont dans leur tête une petite L. qui n'en partira jamais.
RépondreSupprimerLa mienne s'appelle A., son histoire nous a été révélée lors de ma première année sur le terrain... Dur baptême du feu, duquel on ne sort plus jamais pareille...
Ouf, c'est hard.
RépondreSupprimerJe connais des profs d'école qui vivent ça, aussi.
dur.
RépondreSupprimer..
..pourquoi..? c est toujours LA question..
merci pour ce récit, merci d avoir osé.
Pfiou, moi aussi je pleure.
RépondreSupprimerEt je me suis déjà cachée aussi pour pleurer pour une petite puce qui avait un peu la même histoire :-(
Merci de ce billet Bellzouzou.Je venais chez toi pour rire un peu, j'ai beaucoup pleuré. Merci de ne pas te taire.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerNous sommes nombreux à partager avec toi cette émotion là aussi.
RépondreSupprimerC'est malin, je suis au bureau et je pleure ...
RépondreSupprimerCa me révolte ...
Pfff ... que la vie peut être dur parfois pour de si petis êtres .... et dire que l'on se plaint !!!!
RépondreSupprimerBen voilà, on m'en a parlé et je suis venu lire. Evidemment, j'ai la gorge nouée et je crois que j'aurais encore plus envie de taper ceux qui critiquent les instituteurs en les traitant de feignants de fonctionnaires (et j'en passe)... Il en faut des tripes pour faire ce métier, il en faut de la force pour passer à autre chose quand on sort de l'école...
RépondreSupprimerJKG
Voilà, moi aussi je pleure dans le couloir et je sens que je vais souvent penser à L ... et à toi "autrement" que comme une rigolote.
RépondreSupprimeret on fait quoi, maintenant qu'on est toutes dans le couloir à pleurer avec toi???
RépondreSupprimer...Espérer que toutes les petites L aient des gens aussi attentionnés que toi pour tenter de corriger des trajectoires terribles....
rien :-(
RépondreSupprimerpas mieux :-(
RépondreSupprimerPlein de pensées pour L....
RépondreSupprimerPlein de pensées pour les instits et ATSEM qui ont compté dans sa vie, et qui ont su faire les bons choix, ceux du courage...
Pensées pour toi Bellzouzou, ce post malgré toute la tristesse et l'horreur, est magnifique d'amour et de sincérité....
Garderas tu un contact avec L ?
au vu des larmes qui coulent partout dans cette boîte (et sur mes joues), après un billet si magistralement écrit et si poignant... j'espère au moins que ça t'a fait du bien de le raconter, comme le suggérait névrosia...
RépondreSupprimerLa larme à l'oeil...malheureusement en seulement 3 ans de carrière, j'en ai déjà rencontré des petites L. et quand elles ont quelques années de plus, le sourire est de moins en moins présent.
RépondreSupprimerD'après ce que tu décris, elle a l'air forte L. et pleine de vie...bien encadrée elle s'en sortira. Les enfants sont souvent ien plus pleins de ressources que les adultes !
RépondreSupprimersans voix...
RépondreSupprimerça me touche... profondément... un peu de ce vécu dans mon enfance fait que je comprends! moi aussi, petite, je souriais tout le temps. j'en ai parlé mais personne n'a réagit! on m'a dit "t'inquiète pas! il est parti" et c'est tout! j'ai 30 ans et aujoud'hui j'ai vraiment guéri cette blessure dans mon coeur et dans mon corps... je souhaite de tout mon coeur à cette jeune fille de guérir sa blessure et de continuer à sourire à la vie!
RépondreSupprimerJ'en croise aussi pas mal mais de plus grandes, étant prof en collège... Ca fait mal cette douleur ! ! !
RépondreSupprimerTu l'as merveilleusement écrit ceci dit ! Cela pourrait faire une nouvelle à utiliser en cous de sensibilistaion à ces événements...
Désolée, ch'uis prof, c'est obsessionnel !
J'espere qu'L trouvera d'autres adultes encore sur sa route pour continuer à la sauver, garder toujours les yeux ouverts...Merci à vous les instits, les educateurs, à votre boulot monumental et formidable, vous qui gardez les yeux ouverts!!!
RépondreSupprimerle coeur qui se serre a la lecture de ton recit magnifique et si cruel. Putain de vie
RépondreSupprimerj'en reste totalement...
RépondreSupprimer....
....
c'est très bien raconté. merci
dur..comme beaucoup..une boule..les larmes..
RépondreSupprimermerci!